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L'actu Verte
15 janvier 2010

«Les forêts tropicales, un pactole biochimique»

 

Partout dans le monde, les forêts tropicales primaires cèdent aux forêts secondaires, remaniées par l'homme.
 

Il a passé 50 ans à étudier les forêts tropicales primaires, dont la moitié perché en haut des arbres. A bord de son « Radeau des cimes»*, il a en effet mené une exploration pionnière de leurs canopées. Alors que l'ONU a fait de 2010 l'année internationale de la biodiversité, Francis Hallé rappelle que c'est là-haut que celle-ci est la plus riche.

 

«N'oublions pas que la forêt a déjà fourni de nombreux remèdes à nos maladies».
«N'oublions pas que la forêt a déjà fourni de nombreux remèdes à nos maladies».

 

LEFIGARO.FR. - Qu'est-ce que la canopée ?

Francis HALLE. - La canopée se situe au niveau de la couche de feuilles la plus haute d'une forêt tropicale primaire, c'est-à-dire qui n'a pas été touchée par l'homme. C'est un écosystème spécifique, à la jonction entre la forêt et l'atmosphère. Sa particularité, c'est qu'il y a là-haut peu de facteurs limitant le développement de la vie. Il n'y fait jamais froid, il y a une excellente exposition à la lumière, jamais de gel, pas trop de vent… des conditions idéales pour la vie. Quand on est là-haut, on découvre sans arrêt de nouvelles espèces !

Pourquoi préserver les forêts tropicales primaires et leurs canopées ?

Les forêts tropicales sont les réserves de vie de notre planète ! Elles sont incomparablement plus riches que les océans, qui couvrent les deux tiers du globe mais ne représentent que 15% de la biodiversité. La forêt tropicale, qui ne constitue que 6% des terres émergées, abrite en revanche au moins 75% de la biodiversité mondiale. Et au sein de ces forêts, on estime que 69% de la faune vit dans la canopée.

 


 

En 2003, vous constatiez pourtant la destruction irréversible des forêts tropicales primaires…

Il ne reste plus dans le monde que quelques régions où elles subsistent encore. En Afrique, principalement dans le bassin du Congo. En Mélanésie et sur de très petites surfaces d'Asie. En Amérique du Sud enfin, sur une partie du bassin amazonien, le piémont des Andes et le plateau des Guyanes. La France est donc concernée mais elle se conduit très mal à l'égard de ses forêts, en laissant faire les orpailleurs (les chercheurs d'or, ndlr), qui détruisent la forêt et retournent les sols.

C'est pourtant une perte réelle pour l'homme ?

Oui, laisser ces forêts disparaître, c'est passer à côté d'un formidable pactole biochimique ! Les recherches scientifiques ont montré qu'elles sont une réserve importante de molécules nouvelles, dont on n'a découvert à ce jour qu'une partie. Autant de possibilités de recherches, pour mettre au point les parfums ou les médicaments du futur. N'oublions pas que la forêt a déjà fourni de nombreux remèdes à nos maladies. L'écorce du quinquina, petit arbre d'Amérique du Sud, fournit par exemple la quinine, qui a longtemps été le seul remède, encore très utilisé en Afrique, contre le paludisme.

 




 

Vous prônez la «solution canopéenne»…

Le jouroù les industries, pharmaceutiques notamment, intéresseront à leurs ressources biochimiques, les forêts primaires seront sauvées. Il faut que ces industries prennent conscience de la valeur économique de la canopée. C'est seulement en donnant un prix aux molécules des cimes des forêts tropicales qu'on arrêtera de les couper pour leurs troncs. Le bois peut être exploité à partir de plantations, alors que ce patrimoine biochimique est unique et ne peut se récolter que dans les canopées.

Pourquoi l'industrie pharmaceutique ne s'est-elle pas encore emparée de cette opportunité ?

C'est paradoxal, quand on considère que c'est l'industrie pharmaceutique elle-même, en finançant nos recherches, qui nous a permis de découvrir la valeur de la canopée. Mais pour l'instant, elle fonctionne encore avec la chimie combinatoire, qui se contente de réarranger entre elles des molécules qu'elle possède déjà. Mais arrivera un moment où on aura besoin de nouvelles molécules. Je crains seulement que l'industrie ne se réveille trop tard, quand ces ressources auront disparu.

A l'aube de cette nouvelle décennie, comment envisagez-vous l'avenir des forêts tropicales primaires ?

Le pessimisme s'impose. Si l'on en juge par la disparition, en une dizaine d'années seulement, des forêts primaires du sud-est asiatique (Sumatra, Bornéo), les échéances sont très proches. Il y a urgence. Il faut absolument que les investissements réalisés pour protéger ces forêts, très inférieurs à ceux réalisés dans les océans, soient à la hauteur. J'aimerais aussi un grand film sur les canopées, comme celui qui sortira bientôt sur les océans, pour qu'on prenne conscience de leur richesse et de la menace qui pèse sur elles.

* Le Radeau des cimes, l'exploration des canopées forestières. Francis Hallé, Lattes, 2000.

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