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L'actu Verte
18 mars 2010

L'élevage du poisson remis en question

La majorité des élevages de poissons est constituée par des
espèces carnivores qui sont nourries avec des farines et des huiles de
poissons sauvages.
A l'heure du débat sur le thon rouge, la pisciculture est-elle une réponse à l'épuisement des océans? Pollution, maladies, surpêche... les dégâts provoqués par cette activité sont inquiétants.

 La pisciculture va-t-elle sauver les sushis? Alors qu'on discute à Doha (Qatar) de l'interdiction du commerce du thon rouge, certains se prennent à espérer que l'élevage pourra prendre le relais. En Espagne, une équipe de chercheurs soutenue par l'Union européenne a réussi, en juillet dernier, à faire se reproduire des thons en captivité. Jusque-là, l'animal carnivore résistait à toute domestication.

Faut-il y voir une solution au problème de la surpêche? La pisciculture a connu ces trente dernières années une formidable expansion dans le monde. Au point de commencer à supplanter la pêche traditionnelle. Les élevages fournissent aujourd'hui la moitié des poissons consommés sur la planète (soit près de 60 millions de tonnes par an), alors que cette proportion n'était que de 9% en 1980. Peu à peu, le saumon, la truite, les crevettes ou la daurade sauvages ont quasi disparu des étals des poissonniers, remplacés par leurs équivalents "domestiques". De quoi pallier l'effondrement des stocks sauvages? Rien n'est moins sûr. Les scientifiques et les écologistes sont de plus en plus nombreux à dénoncer les effets pervers de cette activité sur l'environnement, mais aussi la pression supplémentaire qu'elle exerce sur les ressources maritimes en déclin.

Du poisson sauvage pour nourrir le poisson d'élevage

"L'industrie de la pisciculture est loin d'être une panacée, elle ne crée pas de ressources nouvelles et, au contraire, amplifie la crise", estime Daniel Pauly, ancien directeur du centre des pêches de l'université de Colombie-Britannique et initiateur du Seafood Summit. La majorité des élevages, en effet, est constituée par des espèces carnivores (saumon, bar, truite...) nourries avec des farines et des huiles de... poissons sauvages. Leur rentabilité énergétique semble une aberration. Il faut ainsi de 4 à 6 kilos de sardines ou d'anchois pour produire 1 kilo de saumon d'élevage. Pour les thons rouges, qu'on espère élever en captivité, cette proportion pourrait atteindre de 8 à 10 kilos. Les aquaculteurs rétorquent qu'environ 20% de ces farines - qui servent également à nourrir les porcs et les poulets d'élevage - proviennent de déchets de la pêche traditionnelle. "Les quantités prélevées dans les océans sont néanmoins colossales, nuance Emmanuel Buovolo, responsable à Greenpeace de la campagne aquaculture durable. Cela entraîne des déséquilibres de la chaîne alimentaire dans les zones surpêchées, où les oiseaux, les phoques et les poissons carnivores disparaissent, faute de nourriture."

Les aquaculteurs sont également pointés du doigt en raison de la pollution occasionnée par la nourriture et les excréments des poissons, qui s'accumulent sous les cages et recouvrent les fonds marins alentour. Selon l'agence norvégienne de l'environnement, les rejets d'une ferme piscicole de moyenne importance sont, par exemple, équivalents à ceux d'une ville de 50 000 habitants.

Des poissons traités aux antibiotiques

La promiscuité des poissons en captivité - la densité peut atteindre, selon les espèces, jusqu'à 50 kilos par mètre cube - entraîne aussi la propagation des maladies, incitant les éleveurs à traiter les poissons aux antibiotiques, antifongiques et autres pesticides qui contaminent les eaux.

Un virus décime ainsi les fermes à saumons au Chili, où une épidémie d'anémie infectieuse du saumon (AIS) se propage depuis 2007. Un désastre, car il faut éliminer les poissons malades et fermer les sites atteints. Entre-temps, des milliers de saumons d'élevage s'échappant chaque année de leurs enclos ont transmis le virus aux poissons sauvages. Au Canada, ce sont des poux de mer qui ont contaminé les saumons, traités avec un pesticide - la cyperméthrine - dont l'efficacité s'est révélée presque nulle car l'insecte aquatique est devenu résistant.

L'élevage en aquarium est-elle la solution?

Peut-on mieux faire? Les chercheurs et les industriels s'évertuent depuis quelques années à diminuer la quantité de poissons sauvages dans l'alimentation des élevages, en y introduisant des protéines d'origine végétale. Des études sont également en cours pour adapter les espèces carnivores au régime végétarien. Mais on constate simultanément que des élevages de poissons herbivores en eau douce, tels la carpe chinoise et le tilapia, considérés comme plus "écologiques", absorbent des quantités de plus en plus élevées de farines de poisson.

Les défenseurs de l'environnement, à l'instar de Greenpeace, prônent des mesures plus radicales: "Il faudrait obliger les aquaculteurs à élever les poissons à terre, dans des aquariums confinés, où les déchets et les médicaments ne pourront pas contaminer l'eau des côtes et des rivières", estime Emmanuel Buovolo.

Sans aller jusqu'à cet extrême, certains producteurs s'appliquent à développer une pisciculture "durable", avec un luxe de précautions figurant au cahier des charges de la filière bio. C'est le cas de Cannes Aquaculture, qui élève, sur la Côte d'Azur, des bars et des daurades dans des filets flottants avec une faible densité de poisson, en s'interdisant tout recours aux antibiotiques. "Nos rendements sont volontairement faibles, fait valoir la gérante de la PME, Janie Charvoz. On se refuse à mettre sur le marché des poissons de moins de 2 ans." Mais ce type de pisciculture risque de rester ultraminoritaire face aux élevages low cost pratiqués dans les pays du tiers-monde, lesquels fournissent près de 70% du marché mondial. La pression de la rentabilité risque de devenir de plus en plus forte dans ce secteur, qui devra doubler sa production d'ici à 2030, pour répondre à l'augmentation de la population mondiale...

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