Défendre la «Terre-Mère» à Cochabamba
- Par Christophe Aguiton
Quelques jours après les réseaux militants recevaient une invitation signée d'Evo Morales pour une «Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la "Terre-Mère"» à Cochabamba du 19 au 22 avril 2010. Un site web existe mais, si l'expérience bolivienne soulève beaucoup d'espoirs et d'intérêt parmi les mouvements militants, beaucoup d'interrogations restaient présentes sur la nature et l'objectif de cette conférence. Pablo Solon, ambassadeur de Bolivie auprès des Nations unies, militant de longue date et habitué des Forum sociaux, est venu à Porto Alegre ce qui a permis de mieux comprendre la proposition bolivienne.
Devant l'échec de Copenhague et la pression des grands pays pour convaincre le maximum de gouvernements de signer malgré tout le texte d'accord issu de la Conférence sur le climat, la Bolivie entend prendre l'initiative et construire un rapport de force suffisant pour infléchir l'agenda international.
L'idée est originale: inviter largement, sans aucune condition, tous les gouvernements du monde avec les institutions internationales, les scientifiques et tous les mouvements sociaux et ONGs pour travailler à un texte final qui ferait état des points de consensus et des questions qui resteront en débat.
D'ores et déjà de nombreux gouvernements ont annoncé leur présence, venant y compris d'Amérique du Nord et de l'Union européenne, l'objectif des Boliviens étant d'avoir plusieurs chefs d'Etats et de nombreux ministres. Dans la même logique les Boliviens sont certains de la présence des organisations de la famille des Nations unies, la question non réglée restant, comme pour les gouvernements, le niveau de leur représentation. Beaucoup de mouvements militants et de scientifiques ont également fait état de leur intérêt, certains ayant déjà confirmé leur présence.
Les débats sont organisés par thèmes, certains d'entre-eux découlant directement des discussions au sein de l'UNFCCC1 comme le protocole de Kyoto ou REDD, la discussion sur la protection des forêts primaires, d'autres ayant une porté plus générale comme le débat sur le «Bien Vivir»2 ou celui dont l'objectif est d'écrire une charte universelle sur les droits de la planète, la «Terre-Mère». D'ores et déjà seize thèmes sont identifiés, mais d'autres vont s'y rajouter, avec une limite de vingt qui correspond aux capacités en terme de salle et de traduction (qui sera assurée en anglais et en espagnol). L'objectif de ces débats est d'écrire de courtes déclarations qui seront agrégées dans le texte final, le débat commençant dès le début février sous la forme d'échanges de mails. A côté de ces débats thématiques, toute une série d'activités auto-organisées pourront avoir lieu. Des conférences scientifiques seront également organisées.
En addition au texte final, la conférence aura deux autres objectifs: discuter la possibilité d'un «référendum mondial» sur les objectifs à se fixer pour lutter contre le changement de climat, et voir s'il est envisageable de pérenniser un mouvement, ou un réseau, après Cochabamba, ce pourquoi il est recommandé de constituer des comités nationaux de préparation de la conférence.
Toute une série d'objections peuvent d'ores et déjà être formulées devant cette proposition. Les délais sont très courts et aller à Cochabamba est coûteux en temps et en argent. Un tel mélange entre représentants de mouvements sociaux, de gouvernements et d'institutions internationales va poser problèmes à beaucoup de structures qui tiennent, de chaque côté, à conserver leur autonomie la plus totale.
L'organisation même de la conférence, sans comités organisateurs, a l'avantage de ne pas heurter les susceptibilités (qui en est… ou n'en est pas!) mais posera inévitablement des problèmes de légitimité pendant la conférence elle-même. Rien ne serait possible pour les mouvements militants sur le plan international sans Internet et les e-mails, mais tout le monde sait à quel point il est difficile d'organiser les débats avec ces instruments. Etc., etc.
Mais, en
même temps, il est clair, ici, à Porto Alegre, que tout ce que
l'Amérique Latine compte de mouvements sociaux sera représenté à
Cochabamba, ainsi que de nombreuses délégations d'autres continents qui
ont conscience de l'urgence de constituer le front le plus large
possible pour imposer de réelles mesures, sur le plan international,
face au changement de climat. Et nous savons tous que, dans des
périodes d'incertitudes et de transitions comme celle que nous
traversons, les initiatives qui peuvent apparaître comme les plus
folles et les plus irréalisables sont parfois celles qui changent le
cours de l'Histoire…
1UNFCCC, "United Nations Frame for Climate Change Convention" est le cadre dans lequel se déroulent les négociations.
2Cf. http://belem.blogs.liberation.fr/forumsocial/2009/02/no-queremos-viv.html